Le grand pari de l’Europe sur les ordinateurs quantiques

computer, quantum, science-869567.jpg
computer, quantum, science-869567.jpg
Auteur/autrice de l’image

Le grand pari de l’Europe sur les ordinateurs quantiques

 de Chiara Sottocorona

L’ âge de l’informatique quantique a commencé au cœur de l’Europe. La Finlande, la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie relèvent le plus grand défi technologique des décennies à venir, qui permettra de résoudre les problèmes les plus complexes de la planète. Ce sont les premiers pays européens à se doter d’un ordinateur quantique en foctionnement et disponible pour une utilisation publique. Chacun avec son propre parcours, différents partenaires et également des choix technologiques différents, mais avec l’objectif commun de contribuer à créer un leadership européen dans ce secteur stratégique. Les premiers ordinateurs quantiques nés sur le Vieux Continent s’appellent IQM, Quilimanjaro, Seeqc Red, Pasqal. Voici leurs histoires.

Jan Goetz, Ceo et cofondateur de IQM Quantum computers


Lors de la conférence « Q2B 2023″ sur les prochaines applications business de l’informatique quantique, qui s’est tenue à Paris les 3 et 4 mai, ouverte par Jean-Noel Barrot, Ministre délégué chargé de la Transition numérique, la société quantique IQM a attiré l’attention pour les réalisations accomplies. Elle est en train de réaliser, » en collaboration avec le centre de recherche VTT, le premier ordinateur quantique doté de 54 Qubits destiné à un usage commercial en Finlande, qui sera délivré d’ici la fin de l’année. IQM dispose aussi de la première usine en Europe pour la production de puces quantiques supraconductrices, ouverte à Espoo (où se trouve également le siège social) depuis un peu plus d’un an, avec un investissement de 20 millions d’euros. La société finlandaise a recueilli près de 200 millions d’euros de financements privés et publics pour le développement international et a ouvert des succursales en Allemagne, en France, en Espagne et à Singapour. Elle compte déjà 230 employés et a lancé depuis mars le Quantum Academy pour former les talents de demain. « L’Europe peut devenir un leader dans l’informatique quantique, mais pas sans une éducation adéquate et étendue », précise Jan Goetz, PDG d’IQM, qui, depuis 2020, multiplie les collaborations avec des universités et des centres de recherche industriels. IQM fait également partie d’un consortium pour la construction de l’ordinateur quantique allemand et a fourni cette année le processeur quantique pour la réalisation du premier ordinateur quantique espagnol.

"L'Europe peut devenir un leader dans l'informatique quantique, mais pas sans une éducation adéquate et étendue".

Quilimanjaro Quantum Tech, une spin-off de l’université de Barcelone, est la société technologique qui dirige le consortium espagnol, avec GMV (un groupe informatique international), engagée dans la construction du premier ordinateur quantique financé par le Programme national Quantum Spain. Il s’agit d’un ordinateur quantique supraconducteur qui sera intégré au supercomputer Mare Nostrum 5, le plus puissant d’Espagne, au Barcelone Supercomputing Center.

Parallèlement, en Italie, Seecq System Red, le premier ordinateur quantique italien de 5 Qubit, né dans le joint-lab entre l’Université Federico II et la société américaine Seeqc, a été présenté le 27 avril. Il s’agit d’une étape importante, car il réalise l’intégration de l’électronique numérique supraconductrice et de l’informatique quantique. C’est un système complet, hardware et software, qui permet d’accéder à l’informatique quantique de manière numérique, à partir du cloud, même pour un usage commercial. « L’idée était de construire un ordinateur complet avec toutes les fonctions sur une puce », explique John Lévy, fondateur et PDG de Seecq (Scalable energy efficient quantum computing), « C’est la caractéristique de notre ordinateur quantique: nous voulons établir une nouvelle technologie de référence dans le domaine quantique, qui réduit la complexité et les erreurs ».

Seecq Red le premier ordinateur quantique italien

Seecq Red, le premier ordinateur quantique italien, est né dans le laboratoire commun de l’université Federico II et de l’entreprise quantique américaine Seecq. Il s’agit d’une technologie qui nécessite des équipements complexes car les phénomènes quantiques se produisent à des températures très basses (-273 degrés). L’aspect du « quantum computer » est très différent de celui des ordinateurs traditionnels : il est contenu dans un cylindre de cuivre, en forme de gâteau à plusieurs couches, qui contient de l’hélium liquide pour le refroidissement. L’unité d’information est le « qubit », qui peut représenter soit 0, soit 1, soit les deux états superposés dans un nombre infini de combinaisons (selon les principes de la physique quantique de l’enchevêtrement et de la superposition). Cela permet d’exécuter plusieurs programmes simultanément et rend les ordinateurs quantiques bien plus puissants que les superordinateurs les plus avancés. Mais le défi de leur utilisation commerciale est de réduire leur taille et leur consommation.

Seecq, la société créée en 2018 à Elmsford (New York) par John Lévy, Oleg Mukhanov et Matthew Huchings, financée par un capital-risque à hauteur de 30 millions de dollars, qui a désormais des bureaux au Royaume-Uni et en Italie, a été la première à concevoir et à fabriquer une puce supraconductrice multi-couche dans laquelle le processeur quantique est intégré à la puce numérique et au coprocesseur de communication. Le tout dans un circuit de refroidissement permettant de le maintenir à des températures cryogéniques. L’avantage de Seecq Red est que le contrôle du calcul quantique se fait sur la puce elle-même », explique Marco Arzeo, responsable EuLab chez Seecq, chef du laboratoire de Naples, un cerveau de retour du Cern à Genève : « Nous avons ainsi réduit les volumes et le câblage, augmentant la stabilité et la vitesse et en réduisant la consommation ».
Pourquoi le choix de l’Italie ? « Depuis 2019, nous avons établi un partenariat académique avec l’université de Naples », explique M. Lévi. « Nous recherchions une expertise sur les puces supraconductrices et l’intégration avec le processeur quantique a été réalisée avec la contribution des ingénieurs de Naples, qui ont participé à la conception. »

Le campus de l’université Federico II de Naples avec le Cesma, le centre de services technologiques avancés qui abrite le joint-lab où est né le premier ordinateur quantique italien.


La fabrication a eu lieu aux États-Unis, puis l’ordinateur quantique chip-based est revenu à Naples pour l’intégration finale et les essais. « Notre objectif est maintenant de créer un Quantum Test datacenter à Naples, à la disposition de l’industrie, avec le soutien de quelques grandes entreprises italiennes » annonce le CEO de Seecq.
« À l’heure où le gouvernement italien a manifesté sa volonté d’investir dans les technologies quantiques, le fait de disposer du premier ordinateur quantique operationel, l’un des rares en Europe, est une grande opportunité. Les applications les plus prometteuses se situent dans les domaines pharmaceutique et chimique, et nous avons déjà des contacts avec des entreprises telles que Merck et Basf. Pour l’étude du changement climatique aussi, certains chercheurs nous ont demandé d’inclure le calcul quantique dans leurs modèles ».

Le programme italien d’informatique quantique est dirigé par le Centre national de recherche HPC (High Performance Computing, Big Data and Quantum Computing), créé il y a moins d’un an et géré par le Cineca de Bologne et l’Institut national de physique nucléaire. L’Italie a réservé 320 millions des fonds du Pnrr (Plan national de relance et de résilience) à cette recherche et vise à créer un réseau national de superordinateurs connectés à des accélérateurs quantiques. « Ces fonds sont destinés d’une part à financer le prochain supercalculateur national, le successeur de Leonardo, qui devrait fonctionner en connexion avec l’ordinateur quantique français Pasqal, et d’autre part à financer la recherche sur les systèmes quantiques basé sur différents types de technologies » explique Simone Montangero, professeur de Physique à l’université de Padoue (où il dirige également le Quantum computing and Simulation Center), co-leader avec Paolo Cremonesi, du Politecnico de Milan, du Programme national Quantum Computing. « En plus de l’Université Federico II de Naples, trois autres universités italiennes sont impliquées dans la construction de systèmes quantiques : la Sapienza à Rome, le CNR à Florence et l’Université de Padoue, où nous travaillons sur la technologie quantique à ions piégés ». Outre le financement européen, l’université de Padoue a investi 6 millions d’euros dans le domaine quantique. Et elle dirige également pour l’Italie la recherche européenne du programme PASQuanS2 (Programmable Atomic Large -Scale Quantum Simulation), financé à hauteur de 16,6 millions d’euros, coordonné par le Max Planck Insitute et le Quantum Optics de Munich.

L’écosystème européen dans le Quantum computing

Depuis fin 2017, date de démarrage du Quantum Flagship, le premier programme européen dédié à l’informatique quantique, l’Europe a alloué au total plus de 7 milliards d’euros à la recherche dans ce domaine stratégique. « L’engagement de l’Europe dans l’informatique quantique n’est surpassé que par celui de la Chine, qui a prévu 10 milliards de dollars pour son Laboratoire national quantique », déclare Olivier Tonneau, associé de Quantonation, le plus grand fonds d’investissement privé paneuropéen sur le quantique, qui a investi 91 millions d’euros en capital-risque et soutenu déjà 23 entreprises dans le domaine, dans sept pays, dont Pasqal, la start-up française la plus importante.

La France, comme l’Allemagne, mise beaucoup sur les technologies quantiques. « Un plan massif pour un secteur qui sera à l’origine de grandes transformations, y compris économiques, dans lequel nous devons nous positionner dans les cinq prochaines années pour assurer notre souveraineté face à d’autres pays qui manifestement investissent beaucoup », tels sont les mots prononcés par le président Emanuel Macron lors de l’annonce à Saclay en janvier 2021 d’un investissement de 1,8 milliard d’euros dans le Quantum. L’État injectera 1 milliard dans la recherche quantique sur cinq ans. Les 800 millions restants sont fournis par des grandes entreprises (Atos, Thales, Edf, Total et d’autres). Plus de la moitié des fonds seront consacrés à la réalisation de l’ordinateur quantique, tandis que 350 millions sont destinés aux simulateurs quantiques. A cela s’ajoute le coup de pouce du capital-risque international, qui a alloué en janvier 100 millions d’euros supplémentaires à la pépite française de l’informatique quantique : Pasqal.

Née en 2019, grâce aux fonds du Conseil européen de l’innovation, du Fonds Innovation Défense du ministère français de la Défense et d’un premier tour de table de 25 millions d’euros auprès de LargeVenture, BpiFrance, Quantonation, Runa Capital, Eni Next et Daphni, Pasqal est une start-up française spécialisée dans l’informatique quantique, fondée par George-Olivier Reymond. Sa première mission a éte de répondre à la demande de deux accélérateurs quantiques à coupler à des supercalculateurs classiques pour le grand centre de calcul CEA de l’Université Paris-Saclay. Il s’agit d’un des plus grands centres de recherche scientifique en Europe, où 7 000 chercheurs travaillent sur des domaines clés tels que l’énergie durable, le changement climatique, l’exploration de la matière, les nouvelles technologies appliquées à la santé.

Installé à l’Institut d’Optique Graduate School de Palaiseau, où il avait fait sa thèse et obtenu par la suite une médaille d’or du CNRS, George-Olivier Reymond a réussi à engager comme directeur scientifique Antoine Browaeys, grand spécialiste de la manipulation d’atomes froids uniques au moyen de faisceaux laser appelés « pinces optiques ».

C’est sur cette technologie que Pasqal s’appuie pour générer des Qubits et les faire interagir.

La start-up, qui a déjà recruté plus d’une centaine de chercheurs, a réussi à créer une interface de programmation pour piloter les composants optiques et les lasers afin de contrôler les qubits.
« Nous avons actuellement un premier système complet de calcul quantique en production, un deuxième est à un stade avancé et sera disponible dans les prochains mois », a déclaré le fondateur et PDG de Pasqal au Monde Informatique fin janvier. « Trois autres modèles sont en cours de planification. Parmi les premiers utilisateurs, nous comptons Edf, qui utilise l’informatique quantique pour optimiser les flux de réseaux, et le Crédit Agricole, qui l’utilise pour la gestion des risques financiers ».
D’autres applications importantes concerneront la cybersécurité (en raison des capacités élevées des ordinateurs quantiques en matière de cryptographie), la création de médicaments, l’industrie automobile ou la gestion logistique. Pour un marché qui, d’ici 2050, est estimé par un rapport de Quantonation pour une valeur de 800 milliards de dollars en Europe.

 

 

Leave A Comment