Le métavers : un nouvel univers, une nouvelle criminalité !

Colonel Patrick Perrot

Colonel Patrick Perrot

Expert IA & Enjeux de sécurité

Le métavers : un nouvel univers, une nouvelle criminalité !

Récemment, Mark Zuckerberg a placé le métavers au cœur de l’actualité en choisissant de rebaptiser le réseau social Facebook, Meta.

Pourtant, ce concept n’est pas récent, il puise son origine, comme nombre d’innovations, dans la science-fiction, en l’occurrence au sein du roman de Neal Stephanson, le Samouraï virtuel, paru en 1992.

Même si Facebook a ré-actualisé le concept, les mondes virtuels ont, en effet, déjà quelques années d’existence dans le monde réel et nombreux étaient au début des années 2000, les utilisateurs de ces espaces.

Ces derniers se situent en fait, à la croisée des jeux de rôles en ligne massivement multi joueurs et des réseaux sociaux à l’image de Second Life en 2003 ou de World of Warcraft en 2004. 

Plus de 8 millions de comptes payants avaient été ouverts sur World of Warcraft, alors que Second Life rassemblait 4 millions de comptes gratuits, et plus 100.000 comptes payants.

Toutefois, ces chiffres, quoique conséquents, étaient quelque peu dérisoires face à l’engouement de ces univers en Corée qui dénombrait plus de 60 millions d’inscrits.

Chaque univers disposait de sa propre monnaie, car l’argent constitue, comme dans la réalité, le nerf de la guerre.

Gagner et dépenser de l’argent, même s’il est virtuel, constituaient deux des principales occupations des résidents : plus de 1,5 millions de dollars ont été échangés chaque jour sur Second Life.

Ces métavers ont d’abord attiré des particuliers, adeptes de jeux vidéo, mais rapidement les grandes enseignes se sont pris au jeu et Second Life est devenu un vecteur de modernisation de la politique marketing de marques, telles Dell, IBM, L’Oréal, ou encore Lacoste …

Certaines entreprises ont même testé les entretiens de recrutement sur Second Life comme Alstom, Areva, Cap Gemini, L’Oréal et Unilog qui, en 2007 s’étaient associées pour y organiser une session de recrutement.

Malheureusement, comme pour tout nouvel univers où circule de l’argent, la criminalité n’a pas tardé à entrer en scène au sein des métavers comme la Gendarmerie nationale l’avait mentionné en 2009 [1].

Chaque univers disposait de sa propre monnaie, car l’argent constitue, comme dans la réalité, le nerf de la guerre.

Un espace ouvert à une criminalité d’opportunité comme organisée

La criminalité ne connaît aucune frontière, que l’espace soit réel ou virtuel, ce qui prime est l’intérêt du gain.  Et aujourd’hui, alors que les territoires connectés devraient se muer en métavers d’ici quelques années, les forces de sécurité intérieure doivent anticiper cette nouvelle situation pour faire face à des attaques virtuelles aux conséquences bien réelles tant dans le domaine de la traite des êtres humains que du trafic de stupéfiants ou de biens.

Ces univers virtuels offrent au délinquant des possibilités multiples et un sentiment d’impunité, d’universalité et de dé-responsabilité.

Dès lors, pédophilie, commerce du sexe, détournements monétaires, blanchiment d’argent, diffusion de la violence, sont des délits qui migrent du réel vers le virtuel et réciproquement.

L’univers virtuel constitue un espace aisé à infiltrer et la frontière entre les univers virtuels et le monde réel est aujourd’hui très perméable et parfois difficile à identifier comme à protéger.

L’identité perd toute aspect physique au sein d’un univers virtuel.

Capter l’identité d’un individu tant vocale que visuelle est à la portée de nombreux délinquants par la disponibilité des applications et codes sources disponibles sur le Net.

Nous avons dès lors, déjà vu apparaître de nouvelles formes d’arnaques au Président en exploitant les possibilités des hyper trucages couramment appelés de leur nom anglais « deepfakes ».

L’arnaque au Président consiste à se faire passer pour un chef d’entreprise, alors en déplacement, auprès du service comptable et de solliciter un virement conséquent vers un compte identifié. Cette arnaque, qui provoque de vrais faux ordres de virement, est connue dans le monde de l’entreprise mais elle se trouve aujourd’hui renforcée. Il est, en effet, possible d’adresser une vidéo avec le visage et la voix du chef d’entreprise construite à partir des réseaux génératifs adverses. Nul doute alors que ce type d’infraction sera amené à largement se diffuser au sein des métavers où les mouvements monétaires, basés sur une monnaie et un cours spécifique, représentent un enjeu bien réel.

Au-delà de cette criminalité financière dont le but est le gain d’argent, nous pouvons également anticiper une criminalité qui devrait s’attaquer à la souveraineté des États.

L’intérêt n’est plus directement le gain financier mais la déstabilisation, la désinformation voire la prise de contrôle de la communication officielle.

Les mondes virtuels sont de plus en plus considérés comme des supports marketing pour certaines entreprises qui y placent par exemple des panneaux publicitaires où sont diffusés des messages incitatifs. Mais ce type d’approche peut également permettre, à des fins malveillantes, de lancer des rumeurs, ou faire acte de désinformation. 

Or, diffuser une fausse information relevant d’une propagande idéologique est aisée à construire au sein d’un metavers où la vitesse de propagation est bien plus rapide que dans le monde réel.

Les atteintes aux biens ne sont pas exclues des métavers à l’instar de ce qui se passait dans les années 2000 où un adolescent de 17 ans avait été arrêté au Pays Bas pour un vol de 4000 euros de mobilier virtuel qu’il a ensuite revendu en monnaie réelle. Et, de l’atteinte aux biens à l’atteinte au personne, il y a, dans les mondes virtuels, une frontière aussi ténue que dans les mondes réels.

Là encore, regardons vers le passé où une personne de nationalité chinoise avait été poignardée dans la rue en 2005 pour un conflit autour d’une épée composée de simples pixels dans un jeu en ligne. `

Diffuser une fausse information relevant d'une propagande idéologique est aisée à construire au sein d'un metavers où la vitesse de propagation est bien plus rapide que dans le monde réel.

Parmi les différentes criminalités développées sur les mondes virtuels, la criminalité sexuelle est celle qui perdure encore aujourd’hui sur Second Life alors que le nombre d’utilisateurs a largement diminué.

 En effet, l’impunité et la liberté, qui existent derrière un écran, génèrent des comportements individuels qui basculent très souvent dans le domaine de la criminalité.

Nous pouvons citer :

L’incitation de mineurs à la pornographie, la diffusion d’images pornographiques à un public non autorisé, la commission d’actes répréhensibles dans le monde réel comme le viol, l’organisation de réseaux pédophiles, la diffusion d’images…, la liste des infractions possibles est malheureusement très longue. L’augmentation de représentations pornographiques dans le jeu, ainsi que la possibilité de payer pour avoir une relation sexuelle avec un avatar représentant un mineur constitue un axe majeur de surveillance pour les forces de sécurité intérieure comme pour les associations de protection des mineurs.

La difficulté des métavers est qu’ils offrent à certains individus un espace pour passer à l’acte délictueux ou criminel en toute impunité apparente.

Ces univers, qui ne disposent d’aucune limite territoriale, qu’elle soit géographique, juridique ou culturelle, ouvrent des perspectives considérables aux groupes criminels organisés ou terroristes.

En effet, les métavers offrent des possibilités de simulation d’actes terroristes et de mesure d’impacts mais assurent aussi une confidentialité des communications dans la perspective de la préparation d’un attentat réel.

Ils peuvent aussi constituer des espaces interlopes en matière de trafics de stupéfiants ou d’armes. Et, parce que les métavers disposent très souvent de leur propre monnaie, ils sont sources de belles opportunités pour des activités de blanchiment d’argent pour les organisations criminelles.

Il est, en effet, possible de transférer des fonds réels vers des comptes virtuels à un taux de conversion adapté au métavers, et réciproquement.

La difficulté des métavers est qu’ils offrent à certains individus un espace pour passer à l’acte délictueux ou criminel en toute impunité apparente.

Ainsi, les forces de sécurité intérieure se préparent à livrer un combat certes déséquilibré mais où la capacité d’anticipation offerte notamment par les méthodes d’intelligence artificielle devrait constituer l’arme de protection principale tant dans la détection que dans la matérialisation des faits, indispensable à la qualification juridique.

A la prévention des faits par des méthodes d’anticipation, s’ajoute la nécessaire éducation à la présence individuelle comme collective sur les métavers.

Et cette éducation dépasse ce qui est réalisé aujourd’hui en matière d’utilisation des réseaux sociaux. Des campagnes de prévention spécifiques ont en effet toute leur pertinence, à l’image de ce que réalise la Gendarmerie nationale au profit des populations les plus exposées dans le domaine de la cybercriminalité.

Éducation, prévention et protection sont les maitres mots qui guident l’action des forces de gendarmerie dans l’appréhension des métavers.

[1] « Les mondes virtuels : un nouvel espace ouvert à la criminalité », Patrick PERROT, Gérard CHOLLET, In Workshop Interdisciplinaire sur la Sécurité Globale, 2009

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