La place de l’IA dans le processus pénal

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Patrick Perrot

Patrick Perrot

Expert « IA et enjeux de sécurité »
Institut EuropIA

La place de l’IA dans le processus pénal

L’intelligence artificielle (IA) connaît, depuis le début des années 2010, un essor considérable dû notamment à la convergence de l’explosion des données disponibles, des nouvelles capacités de calcul et des méthodes mathématiques qui parviennent à résoudre des problèmes, jusque là, insolubles. Cet essor est souvent qualifié de révolution par la capacité de l’IA a embrasser de nombreux domaines au point de ne plus savoir où elle pourrait ne pas être exploitée. Il n’y a semble-t-il plus un domaine qui échappe à l’IA. Alors qu’en est-il de son apport dans un domaine aussi sensible que le processus pénal ? L’IA doit-elle être utilisée à la hauteur des opportunités qu’elle offre ou faut-il s’en protéger au regard de son incidence sur les libertés individuelles ? L’IA va-t-elle remplacer l’enquêteur, le magistrat ou l’avocat dans les années à venir ? Les oppositions à son développement dans des domaines comme la justice pénale sont réelles mais pas moins, que la perte de confiance qui existe aujourd’hui, à l’international, dans les systèmes de justice. En effet, nombreux sont les systèmes qui ne parviennent plus à apporter des réponses pénales dans des délais admissibles, qui apportent des réponses peu concordantes avec la réalité des codes qui régulent les sanctions, qui prennent des décisions de moins en moins comprises pour ne pas dire incompréhensibles par le citoyen. La réponse à la question de l’acceptabilité d’une IA, assistante dans le processus pénal ou substitut aux décisions humaines, est aujourd’hui en pleine évolution. Et, ces enjeux sont déterminants pour le choix de société de demain car la justice pénale est un organe de régulation des relations sociétales. Le processus pénal débute par la découverte d’une infraction, se prolonge par l’enquête et se termine au procès. Une infraction n’est commise que si l’enquêteur parvient à mettre en évidence trois éléments constitutifs, à savoir, l’élément matériel (concrétisation du fait), l’élément moral (intention de l’auteur) et l’élément légal (caractérisation par le code pénal). L’enquête est régie par un ensemble de règles très strictes, inscrites au sein du code de procédure pénal. C’est ainsi qu’une enquête répond à un ensemble de règles écrites au sein du code pénal, qui définit l’infraction et la sanction et au sein du code de procédure pénale, qui caractérise la manière dont doit être conduite l’enquête. Ce formalisme correspond à ce qu’il est possible de mettre en oeuvre par une IA. Mais formalisme ne signifie pas rigorisme, car le processus pénal a aussi, et peut être d’abord, une dimension humaine. Il répond à des facteurs qui ne sont pas toujours aussi aisés à transcrire formellement. Concilier la flexibilité humaine à la rigueur pénale, tel est l’enjeu pour une IA qui viendrait apporter son concours aux enquêteurs, aux magistrats ou aux avocats.

L’intelligence artificielle et l’enquêteur

L’intelligence artificielle a commencé à produire des effets positifs et devrait continuer à étendre son champ d’applications au profit de l’enquêteur à la condition de demeurer sous la supervision humaine. En termes applicatifs, nous pouvons citer :

– l’analyse des vidéos de masse : l’intelligence artificielle est capable d’analyser des flux de données considérables et hétérogènes et ainsi remplacer l’humain dans une tâche très chronophage. Cette dimension peut s’avérer déterminante pour prévenir de nouveaux faits ou satisfaire aux règles de la garde à vue. Il n’en demeure pas moins que le résultat de l’analyse doit, in fine, être soumis à l’interprétation humaine qui jugera ou non de la pertinence du résultat.

– le rapprochement d’entités : l’intelligence artificielle, par sa capacité à analyser des données complexes et à établir des scores de rapprochement entre entités (lieux, personnes, modes opératoires…), peut s’avérer particulièrement utile. C’est ainsi qu’il est possible de construire des graphes relationnels qui associent une approche probabiliste sur les liens entre entités. Ces outils sont à exploiter sous la direction d’un magistrat qui en autorise l’utilisation.

– la classification de données : les données sont de plus en plus nombreuses et il devient difficile d’extraire l’information pertinente. Par ses propriétés discriminantes (et non discriminatoires), l’IA permet par exemple de retrouver dans une masse de données images, celles à caractère pédopornographique et donc de concrétiser l’une des dimensions de l’infraction, la matérialité. Pour l’enquêteur, c’est à la fois un gain de temps et d’efficacité, considérant qu’il valide le choix proposé par le système automatique.

– les méthodes d’identification : l’intelligence artificielle est particulièrement efficace, en fonction des cas d’usage, en matière d’identification biométrique que celle-ci soit fondée sur la voix, le visage ou l’empreinte digitale. L’identification faciale est exploitée par exemple pour retrouver une personne disparue ou pour rechercher, au sein d’une base de données images, le visage d’un enfant kidnappé. Là encore, c’est à l’enquêteur de s’assurer que le résultat proposé par l’intelligence artificielle est pertinent et permet d’orienter les investigations.

Voici donc quelques illustrations de l’apport de l’IA dans l’enquête mais en réalité, les cas d’usage sont bien plus nombreux. Nous pouvons citer la lutte contre les crimes de haine sur Internet, la détection des fraudes financières, l’analyse des filières de traites des êtres humains ou encore des routes de la drogue. Par sa capacité de détection, de classification et d’identification, l’intelligence artificielle est une assistance précieuse à l’enquête qu’il convient de manier avec responsabilité sans en obérer l’usage par une réglementation qui nuirait à la protection des populations au bénéfice de la délinquance. L’IA peut ainsi prévenir les crimes et aider les enquêteurs à identifier les suspects plus rapidement, assurant ainsi une sécurité publique plus efficace et une confiance accrue de la collectivité dans la protection des populations par les forces de sécurité.

L’intelligence artificielle, le magistrat et l’avocat

Depuis quelques années, l’IA est utilisée dans le cadre d’applications juridiques et même judiciaires notamment à l’international, que ce soient pour rédiger des contrats, anticiper des décisions voire proposer des hypothèses quant au quantum d’une sanction pénale. Il semblerait qu’en Chine le projet soit concret puisque des chercheurs de Shanghai ont travaillé à un système d’intelligence artificielle capable de remplacer les magistrats dans les prochaines années. Ce système aurait déjà la capacité à rédiger une plainte et à proposer une sanction pénale. Ce n’est donc pas une question de faisabilité mais bien une question de temps avant de constater une évolution notoire de la pratique du droit par l’adoption de l’IA. Ces évolutions progressives pourraient générer un bouleversement dans la manière de traiter les affaires judiciaires et dans l’équilibre du rapport entre avocats et magistrats. Il est évident que les cabinets d’avocats vont rapidement se saisir des opportunités de l’intelligence artificielle pour accroître leur efficacité dans l’analyse des failles de la procédure par exemple mais aussi dans la capacité à proposer une estimation de chance de succès et ainsi d’adapter leur grille tarifaire. Il n’est d’ailleurs guère surprenant de constater le développement à grande vitesse de sociétés qualifiées de « legal tech ». Le terme associe le droit à la technologie et constitue une forme de numérisation des services juridiques avec pour ambition affirmée des cabinets d’augmenter l’efficacité et de réduire les coûts par l’automatisation des processus. Le risque pour les avocats est néanmoins de voir le concept se transformer en une forme d’ubérisation de l’accès aux services juridiques.

Face à cette évolution inévitable des cabinets d’avocats, la magistrature devra également s’engager dans la voie de l’intelligence artificielle afin d’une part, d’éviter d’être pris de vitesse et de ne plus être en mesure de régler les conflits de société face à la multiplicité des affaires et à la célérité d’action des avocats et d’autre part, d’être en capacité de mettre en place un usage responsable de l’IA sans avoir à la subir. Nous pouvons d’ores et déjà anticiper que ceux qui n’adopteront pas cette transformation seront laissés pour compte au contraire de ceux qui le feront et qui se retrouveront libres d’en faire usage. L’enjeu de la réglementation est alors majeur pour prévenir tout risque de déséquilibre. A ce jour, le projet de réglementation IA en Europe considère légitimement que le champ de la justice notamment dans le cadre d’usage de systèmes automatiques destinés à aider les autorités judiciaires dans la recherche et l’interprétation des faits, dans l’application du droit à un ensemble concret de faits et dans l’évaluation de la fiabilité des preuves dans le cadre d’enquêtes ou de poursuites pénales, est à haut risque. Il s’agit néanmoins de s’assurer que ce qui n’est pas autorisé aux magistrats ne le sera pas non plus aux cabinets d’avocats au risque de voir une dissymétrie notoire entre les différentes parties d’un procès. L’accès à l’intelligence artificielle par les magistrats ne doit pas être vu comme une perte de pouvoir mais bien comme une capacité renforcée dans la recherche de la vérité en conformité avec le droit.

Et pour conclure

Alors pour être concret, une intelligence artificielle est-elle en mesure de remplacer un enquêteur ?

Au regard des diverses tâches à accomplir en matière d’enquête, il apparaît difficile de voir une intelligence artificielle remplacer l’enquêteur. En effet ce dernier est au coeur de problématiques complexes et humaines et doit prendre en compte de très nombreuses données contextuelles. Les infractions sont souvent commises au regard d’une opportunité d’instant ou sous l’effet d’émotions qui ne suivent que rarement une logique rigoureuse. Il apparaît ainsi très peu probable qu’une intelligence artificielle soit en mesure de satisfaire à la fois à pluridisciplinarité de l’enquête et à la subjectivité des variables entrant en jeu. Néanmoins, l’IA peut, et doit même, devenir une assistante très efficace sur certaines tâches spécialisées. Elle permettra de gagner en efficacité et en célérité d’action si elle est utilisée en connaissance de ses opportunités et de ses limites.

Et de remplacer le magistrat ou l’avocat ?

La réponse à la question est différente de la précédente considérant qu’un magistrat travaille à partir de données transcrites constituées par le dossier d’enquête, d’un formalisme apporté par le code de procédure pénale et le code pénal et d’une antériorité expérientielle constituée par la jurisprudence. Une intelligence artificielle est aujourd’hui en mesure de prendre en compte l’ensemble de ces éléments pour apporter une décision. Alors, le magistrat comme l’avocat peuvent effectivement être remplacés par une intelligence artificielle mais ce sera un choix politique qu’il conviendra de mesurer avec une grande précaution et beaucoup de sagesse. Nous pouvons, en effet, plutôt penser que l’intelligence artificielle a intérêt à être envisagée comme une aide à la décision. L’enjeu sera alors de savoir si le magistrat sera capable d’adopter, en fonction des situations, une position différente de celle proposée par la machine. Et, ce choix en responsabilité est un choix qui recoure à des qualités humaines. L’intelligence artificielle n’a aucune volonté de prendre la place de l’humain, ni même aucune volonté d’ailleurs. Si elle devait se substituer à l’humain, c’est que ce dernier l’aura choisi …

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