IA générative : les nouveaux défis pour l’Europe

IA générative : les nouveaux défis pour l’Europe

par Marco Landi & Chiara Sottocorona

Pouvons-nous accepter de laisser les technologies du futur, et en premier lieu l’Intelligence Artificielle, entre les mains des GAFAM ?

C’est la première question éthique que nous devrions nous poser. En France, l’acronyme GAFAM est désormais couramment utilisé pour désigner Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft. Un acronyme qui devrait être actualisé en fonction des noms actuels des Big Techs et de la capitalisation atteinte, c’est-à-dire de leur valeur boursière respective : Microsoft-Apple-Alphabet-Amazon-Meta.

Les cinq Big Techs en question, auxquelles s’ajoute la nouvelle star que représente Nvidia (leader des microprocesseurs pour l’IA générative) ont atteint en février une valeur totale record en bourse : 12.000 milliards de dollars. Pour donner un ordre d’idée, c’est l’équivalent du produit intérieur brut de l’Allemagne, du Japon et de l’Inde réunis.  « Il y a seulement cinq ans, début 2019, ces six entreprises valaient au total 3.000 milliards » souligne le journal Les Échos dans un article du 2 février 2024 (« La Big Tech renforce son hégémonie mondiale »).                       

L’ascension n’est pas terminée : les bilans financiers du dernier trimestre clos en avril indiquent

encore de fortes progressions. « Sundar PICHAI, le PDG d’Alphabet, est sûr que Google gagnera plus d’argent en vendant l’accès à l’IA générative. Satya NADELLA, le PDG de Microsoft, affirme que son entreprise le fait déjà. Ces deux entreprises ont augmenté leurs ventes et leurs bénéfices au dernier trimestre, « plus que prévu », souligne Wired dans un article publié le 25 avril 2024.

Il est vrai que Google et Microsoft ont beaucoup investi et ils se sont engagés sur l’IA générative dans un course à coups des milliards de dollars.  Chacun ayant l’intention de d’être maître de ce domaine. Ils sont suivis maintenant de près par Meta et Amazon, toujours dans la compétition. Mais les déséquilibres engendrés par cette situation au niveau mondial, dans l’économie comme dans la société, sont effrayants.

Le tableau le plus complet des tendances actuelles et des risques futurs est fourni par l’AI Index 2024, un document de 500 pages sur l’évolution de l’intelligence artificielle dans le monde, publié à la mi-avril par l’université de Stanford (Stanford Human-Centered-Artificial-Intelligence).

Quels changements ou bouleversements depuis 2023 ?

Les premiers points clés du rapport sont les suivants : “Generative AI Private investment skyrockets: from 2022 reach 25,2 billions $”.

Les investissements privés dans l’IA générative sont montés en flèche : ils ont explosé pour atteindre 25,2 milliards de dollars en 2023, neuf fois plus qu’en 2022. Trente fois plus qu’en 2019. 

L’autre tendance remarquable :

« Les États-Unis devancent la Chine, l’UE et le Royaume-Uni en tant que source de modèles d’IA dominants ». 

Les dépenses américaines en matière d’IA sont donc inégalées, tandis que les dépenses européennes sont insuffisantes et à brève échéance. En conséquence, ce sont, plus que jamais dans l’IA générative, les modèles américains qui dominent. Voici qui les a réalisés et les maîtrise :

Il n’est donc pas étonnant que le président français Emmanuel Macron ait tiré la sonnette d’alarme le 25 avril dans son discours à la Sorbonne.

« L’Europe risque d’être fragilisée, voire reléguée, au cours de la prochaine décennie si elle n’investit pas massivement dans les industries d’avenir » a averti M. Macron dans son discours sur l’Europe prononcé à la Sorbonne. « Nous devons revoir notre modèle de croissance. »


photo Christophe PETIT TESSON/POOL/AFP

Presque à la veille des élections européennes, le Président a demandé aux 27 pays de l’Union « Un grand plan d’investissement collectif ». Et il a indiqué qu’il faudra entre 650 et 1.000 milliards de plus par an dans l’UE en investissements publics et privés pour financer les secteurs d’avenir et rattraper les Etats-Unis et la Chine. Parmi les secteurs stratégiques dans lesquels l’Europe doit avoir l’ambition d’être leader en 2030, M. Macron a cité : l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, l’espace, les biotechnologies et les nouvelles énergies.

Le marché de l’IA et de la GenAI est déjà en plein effervescence, il pourrait bien devenir l’un des piliers de l’économie des années à venir. Une étude de Statista de septembre dernier indiquait que le marché de l’IA générative allait atteindre plus de 42 milliards d’euros en 2023  et pourrait même représenter un chiffre d’affaires annuel de plus 200 milliards d’euros à l’horizon 2030.

Une autre étude du McKinsey Global Institute, rapportée par Il Corriere della Sera, indique que « malgré d’excellentes capacités industrielles, la compétitivité européenne s’érode depuis un certain temps« . Il dresse un état des lieux de la situation des 27 pays de l’UE, plus la Norvège et le Royaume-Uni : de 2015 à 2022 les plus grandes entreprises ont dépensé deux fois moins en recherche et développement que leurs homologues américaines, leur taux de croissance est deux tiers de celui des États-Unis, et leur rendement du capital est inférieur de 4 % à celui des Américains.


Les défis auxquels l’Europe est confrontée sont donc nombreux. L’adoption de l’IA, qui dans de nombreux secteurs réduit les coûts et augmente la rentabilité, peut représenter une grande opportunité : mais des réformes et des mesures sont nécessaires pour créer un cadre permettant un développement plus uniforme et plus rentable des technologies avancées. Et ils sont nécessaires surtout plus d’investissements pour stimuler l’innovation européenne et garantir notre souveraineté.

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