L’avenir de l’IA & Leonardo Da Vinci

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L’avenir de l’IA & Leonardo Da Vinci

par Diana Landi
notre experte « IA, Culture & Art »

Au XXIème siècle, il peut sembler surprenant de se tourner vers le grand Leonardo Da Vinci qui marqua l’humanité de son intelligence et son esprit visionnaire. Il pensait que la clé d’une véritable compréhension du monde résidait dans la perception des liens entre les phénomènes et des modèles plus larges formés par ces relations. C’est précisément le genre d’approche holistique qu’exigent les problèmes complexes actuels.

 L’Intelligence Artificielle, en particulier l’IA générative est devenue l’une des technologies les plus novatrices du 21e siècle, révolutionnant les industries, façonnant les économies et redéfinissant les interactions homme-machine.

L’IA générative est déjà une révolution ! Ses usages explosent et redéfinissent les modèles existants, ouvrant un champ des possibles en expansion constante. Adoptée de manière exponentielle tant dans la vie professionnelle que personnelle, elle est devenue partie intégrante de notre vie quotidienne, transformant profondément tous les aspects de notre société. Mais au-delà de ce bouleversement, quelles sont les implications pour la société de demain de l’émergence de l’Intelligence Artificielle Générale ?

Yoshua Bengio (1), l’un des pionniers de l’apprentissage profond, préconise que les avancées de l’IA pourraient profondément transformer la recherche scientifique, et ouvrir des horizons entièrement nouveaux pour le futur de l’humanité. Alors “quid” de Leonardo da Vinci ? Aurait-il eu aussi les mêmes préoccupations que nous en abordant cette révolution ? Alors que nous sommes à l’orée d’une nouvelle ère de l’IA, l’approche visionnaire holistique de Leonardo nous aide à naviguer dans les complexités de l’avenir. Il encourage la réflexion méthodologique et favorise une prise de décision éclairée pour façonner la prochaine génération d’IA.

Les chercheurs et les innovateurs plus éclairés repoussent les limites de l’apprentissage automatique, des réseaux neuronaux et du traitement du langage naturel pour développer une IA qui va au-delà de l’amélioration des algorithmes et des modèles existants : cela implique d’envisager des systèmes d’IA avec plus d’autonomie, d’adaptabilité et de conscience éthique tels que :

AI for Good”: La prochaine génération d’IA vise à relever certains des défis les plus urgents de l’humanité: le changement climatique, les soins de santé, l’éducation, l’éradication de la pauvreté, la violence,… etc. Les innovateurs exploitent l’IA pour avoir un impact positif sur la société en s’attaquant à ces problèmes mondiaux.

Ethical AI” : à mesure que les systèmes d’IA deviennent plus sophistiqués, il devient essentiel de garantir une utilisation éthique et de lutter contre les préjugés, et le manque d’inclusion. Les nouveaux modèles d’IA doivent intégrer de solides mécanismes d’éthique et de sécurité pour protéger les individus et la société dans son ensemble.

Pour façonner les prochaines technologies d’IA, nous avons besoin de collaboration, d’innovation, de responsabilité éthique : le type de science décrit par Leonardo da Vinci il y a 500 ans.

Léonard était un naturaliste et un observateur attentif du monde naturel. Ses études détaillées sur les plantes, les animaux, la géologie et les phénomènes naturels ont ouvert la voie aux études scientifiques modernes. Il a soigneusement examiné, dessiné et peint les roches et les sédiments sculptés par l’eau, les schémas de croissance des plantes influencés par leur métabolisme et l’anatomie dynamique des animaux en mouvement. L’approche de Léonard impliquait l’observation systématique du monde naturel, associée à une analyse raisonnée et à une rigueur mathématique, ce que nous reconnaissons aujourd’hui comme la méthode scientifique.

La quête de Léonard pour la science et l’ingénierie ne découle pas d’un désir de dominer la nature. Il pensait qu’il était sage pour l’humanité de respecter la nature et d’en tirer de précieuses leçons. Comme il le dit avec éloquence : “La nature est la source de toute vraie connaissance. Elle a sa propre logique, ses propres lois, elle n’a aucun effet sans cause ni invention sans nécessité. Bien que l’inventivité humaine emploie divers instruments pour atteindre des objectifs similaires, elle dit :ne concevez jamais une invention plus exquise, plus simple ou plus rentable que celles conçues par la nature.

Leonardo da Vinci était un penseur visionnaire capable de transcender les frontières de son époque. Il a imaginé des possibilités dépassant les contraintes de son époque, comme le concept de vol, le développement de machines et les innovations en architecture. Bien que nombre de ses idées ne se soient pas concrétisées de son vivant, elles préfiguraient l’avenir de la science et de la technologie. Léonard se faisait appeler “omo sanza lettere” parce qu’il n’avait jamais reçu l’enseignement classique en grec, en latin et en mathématiques supérieures. La connaissance des phénomènes naturels avait été héritée des enseignements des philosophes anciens, étroitement liés à la doctrine chrétienne, par les théologiens, qui sanctionnaient officiellement le système de croyance et condamnaient l’expérimentation scientifique comme contestant l’autorité de l’Église. Malgré ces handicaps, il montre son talent artistique en travaillant comme apprenti chez le peintre florentin Andrea del Verrocchio, où il surpasse rapidement le talent de son maître.

Lorsque le jeune Léonard commença sa formation de peintre, sculpteur et ingénieur à Florence, le concept de science, caractérisé par une approche systémique (2) et empirique de la compréhension du monde naturel, n’existait pas encore. Selon Giorgio Vasari, “Il fut l’un des premiers à avoir commencé à illustrer les problèmes de la médecine… et à jeter une véritable lumière sur l’anatomie. Les dessins de Léonard, les contradictions qu’il a rencontrées l’ont incité à enregistrer ses observations et cela n’avait finalement pour but de transmettre rien de moins qu’une nouvelle compréhension du corps humain… Nouvelles observations contre connaissances anciennes avec des dessins à la sanguine.” Pour Léonard, la peinture était à la fois un art et une science. Il affirmait : “La peinture englobe toutes les formes de la nature en elle-même”. Son approche de l’acquisition de connaissances scientifiques était intrinsèquement visuelle, ancrée dans la perspective d’un artiste.

 

Il affirmait qu’on ne pourrait se limiter au dessin que “S’il était possible d’observer toutes les choses représentées dans ces dessins dans une seule figure. Mais il vaut mieux rendre et décrire.” Il a vanté les bienfaits du design… “Ne voyez-vous pas que l’œil embrasse la beauté du monde entier ? Il est le maître de l’astronomie, l’auteur de la cosmographie, le conseiller et correcteur de tous les arts humains… il a engendré l’architecture, la perspective, la peinture divine, il sert de fenêtre au cœur humain à travers laquelle l’âme contemple la beauté du monde et en jouit, acceptant ainsi la prison du corps qui sans ce pouvoir serait son tourment.” (Codex Urbinas, 16 r-v).

Il a réitéré que la peinture était étroitement liée à l’étude des formes naturelles, soulignant le lien profond entre la représentation artistique de ces formes et la compréhension intellectuelle de leur essence intrinsèque et de leurs principes sous-jacents. Étudier Léonard dans cette perspective nous permet non seulement de reconnaître sa science, mais montre également pourquoi Léonard ne peut être compris sans son art, ni son art sans la science.

La fusion de l’art et de la science chez Léonard était profondément imprégnée de ce profond respect de la nature. L’exploration systématique des formes vivantes et non vivantes constituait une science centrée sur la qualité et l’intégralité. Aujourd’hui, nos sciences et nos technologies sont devenues de plus en plus spécialisées, souvent motivées par des entreprises axées sur le profit plutôt que sur le bien-être de l’humanité. Avec la révolution de l’IA générative, quelles seront les algorithmes de demain ? A quoi devons-nous nous attendre ?  Et comment l’IA doit-elle évoluer au regard des enjeux éthiques et climatiques ?

Comme l’a si bien dit Linus Pauling, 500 ans après (3) : « La science ne peut être arrêtée… L’homme accumulera des connaissances… et nous ne pouvons pas prédire ce qu’elles seront ». Dans ce contexte l’héritage de Léonard est plus actuel que jamais. Son processus de pensée nous interpelle et démontre une structure intellectuelle, qui par-delà les siècles, retrouve les mêmes réflexions, les mêmes questionnements et les mêmes solutions. Sa remarquable perspective interdisciplinaire reconnaît que le monde est un système complexe où tout est interconnecté. De plus, sa réflexion humaniste prend en compte le contexte dans lequel un phénomène ou un problème existe et reconnaît que la compréhension de la situation dans son ensemble est cruciale pour prendre des décisions éclairées.

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(1) « Tous les modèles scientifiques sont prédictifs, mais les avancées de l’IA pourraient permettre de mieux combiner les prédictions des différentes sciences, et de poser les fondements d’un système d’IA intégrant les connaissances scientifiques de l’humanité. »

(2) À l’inverse de la logique cartésienne qui dissocie, partage, décompose, la logique systémique associe, rassemble… Adopter une approche systémique, c’est adopter une démarche pour étudier un système qui s’efforce, au lieu de saisir séparément les différentes parties, d’appréhender de façon globale l’ensemble des composants du système en s’intéressant tout particulièrement à leurs liaisons…Arlette Yatchinovsky « L’approche systémique »

(3) Linus Pauling, « Chemical Achievement and Hope for the Future, » 1947