Une renaissance numérique avec l’IA
par Marco LANDI
Nous sommes confrontés à un changement historique : une transformation profonde et de plus en plus rapide de la société en raison de la numérisation et un intérêt croissant pour le progrès dans les domaines de la recherche scientifique avancée, en particulier en ce qui concerne les développements de l’intelligence artificielle et la robotique. Une attention que l’on peut considérer de différents points de vue. Celui de Poutine qui dit « Qui domine l’intelligence artificielle domine le monde », et dit par lui est certainement effrayant. Ou de Xi Jinping qui veut faire de la Chine la plus grande puissance de l’IA d’ici 2030, tout aussi inquiétant. Sinon, nous pouvons suivre l’exhortation du Pape François, qui soutient que nous devons entrer dans les territoires de la science et de la technologie, nous devons les parcourir avec courage et discernement, en gardant à l’esprit la nécessité d’orienter ces réalisations au service du développement humain, en respectant les dignités de chaque personne et celle de toute la création dans la conscience que le progrès peut rendre possible un monde meilleur : être unis dans le bien commun et ne pas accroître les inégalités ou les discriminations dans la société.
L’être humain ne doit non plus devenir un « objet de consommation » dominé par des algorithmes, qui après avoir aspiré ses données personnelles, tentent aussi de le guider dans les choix et les actions à entreprendre, selon les intérêts de l’une ou l’autre Big Tech. Les risques de mauvaise utilisation des applications d’intelligence artificielle existent et ne doivent pas être ignorés.
Dès lors, un autre aspect à considérer est celui exprimé par l’économiste et essayiste bien connu Jacques Attali, ancien conseiller des présidents français (de Mitterrand à Macron) qui avançait dans un article récent, en tant qu’éditorialiste du journal Les Echos : « Beaucoup des innovations inutiles ont été lancées pour permettre à leurs inventeurs et investisseurs de gagner rapidement de l’argent. Il y en a d’autres qui améliorent vraiment la vie des gens, mais qui ne voient jamais le jour, car elles ne sont pas considérées comme suffisamment rentables. Parfois, il faudrait s’affranchir des lois de marché… «
Si nous croyons qu’une nouvelle Renaissance est possible, dans le sens de la créativité, des découvertes, mais aussi des valeurs à affirmer dans la société numérique actuelle, le meilleur moyen pour qu’elle se réalise est de faire bon usage de l’énorme potentiel que l’IA nous offre.
J’ai toujours pensé que l’intelligence artificielle n’était pas seulement une technologie, ou plutôt un ensemble de technologies, mais un défi pour l’humanité. L’IA est désormais entrée dans sa maturité : plus de 70 ans se sont écoulés depuis sa conception théorique, à commencer par le célèbre essai d’Alan Turing Computing Machinery and Intelligence, publié en octobre 1950, et dans trois ans ce sera l’anniversaire de la « fondation » de la recherche sur l’IA, dont les bases ont été posées au Darmouth College à l’été 1956 par un groupe d’informaticiens dirigé par John McCarthy, Claude Shannon, Marvin Minsky. L’idée d’utiliser des réseaux de neurones artificiels pour imiter diverses fonctions du cerveau humain, reproduire la vision, le langage naturel, la capacité d’interpréter des données pour résoudre des problèmes, a été relancée avec succès depuis la fin des années ’90 par d’autres groupes de chercheurs, toujours très actif aux USA, au Canada et aussi en Europe.
Grâce aux développements de la dernière décennie, l’IA a encore pu nous surprendre, comme cela s’est produit au début de cette année avec le lancement sensationnel de ChatGPT et la dynamique qu’il a déclenchée. Une nouvelle phase s’est ouverte avec l’arrivée de l’IA dite Générative, qui non seulement permet un dialogue homme-machine direct et beaucoup plus riche, mais ouvre également des perspectives de transformation du travail intellectuel et offre de nombreuses idées nouvelles pour la création culturelle. Steve Jobs disait : « Je vois l’ordinateur comme un miroir, un miroir de l’intelligence. C’est pour cette raison qu’ il ouvre des possibilités passionnantes dans nos vies ».
Or l’IA amplifie à l’infini ce miroir et nous offre de nouvelles possibilités d’imaginer, ou de découvrir les contenus que tout le Web a mis à notre disposition, ou de tenter de vivre des expériences réelles dans des mondes virtuels. Jobs l’avait déjà prédit : « La révolution électronique incarne un nouveau type d’énergie libre, l’énergie intellectuelle. Si l’automobile a donné la vitesse à notre corps, l’ordinateur la donne au cerveau. Par conséquent, les avantages qui découlent d’une plus grande liberté intellectuelle s’étendront à des nombreux domaines » (citation d’un entretien de Chiara Sottocorona avec Steve Jobs, publié par Panorama le 14 mai 1984).
"Je vois l'ordinateur comme un miroir, un miroir de l'intelligence. C'est pour cette raison qu' il ouvre des possibilités passionnantes dans nos vies".
Steve Jobs
Nous devons maintenant étudier l’échelle et l’impact réels des applications de ces technologies d’IA dans divers domaines de la vie humaine. A commencer par le secteur biomédical, avec des réalisations dans les domaines de la chirurgie et de la rééducation, et dans les domaines de l’assistance à la personne, où la robotique commence également à jouer un rôle clé. Un riche éventail d’applications a été présenté lors de conférences et sur les stands d’entreprises et de start-up au WAICF à Cannes le mois dernier. Yann Le Cun, considéré comme l’un des pères du Machine Learning, indiquait au début de sa conférence comment « l’IA accélère les progrès des sciences physiques : elle permet des simulations complexes de fluides ou d’aérodynamique, elle permet d’analyser le comportement des particules dans des expériences en physique, ou en astrophysique, elle aide à classer les galaxies et à découvrir des exoplanètes, tandis qu’en pharmacie, elle accélère la découverte de nouveaux médicaments, en simulant des combinaisons de protéines, et en chimie, elle soutient la création de nouveaux matériaux ».
Ce sont des avancées qui ont des répercussions dans de nombreux domaines d’activité. Nous avons déjà vu ses applications dans l’agriculture, la fabrication industrielle, les transports, la gestion de l’énergie, où les applications de l’IA commencent à être largement adoptées. Mais le commerce s’en sert aussi, non seulement grâce à l’utilisation de chatbots de plus en plus sophistiqués au service des clients, aussi avec l’utilisation de robots, également dotés d’une certaine autonomie, qui effectuent des tâches importantes dans les entrepôts et assument un rôle dans la livraison.
Ce n’est pas une nouvelle que ces dernières années les progrès de l’intelligence artificielle et de ses nombreuses applications dans divers domaines enregistrent un niveau de croissance exponentielle, comme en témoignent les données collectées par toutes les agences mondiales.
L’IA est certainement l’une des technologies essentielles pour la quatrième révolution industrielle. Mais ce ne devrait pas être seulement le business qui en profite. Même la société, les gens. Parce que l’IA représente l’un des vecteurs fondamentaux pour orienter et accompagner les grandes transitions auxquelles sont confrontées les sociétés contemporaines, je pense notamment aux transitions écologique et énergétique. En raison de son omniprésence et de sa capacité intrinsèque à modifier les relations sociales, la façon de travailler et de communiquer, l’intelligence artificielle peut également avoir un impact culturel très fort. De ce point de vue, une adoption « centrée sur l’humain » telle que est préconisée par la Commission européenne s’impose plus que jamais. Il n’y aura pas de Renaissance numérique si elle n’a pas l’être humain et le bien commun en son centre. Les changements sociaux induits par l’IA sont profondément liés à la logique de numérisation de la société et doivent être suivis dans un scénario politique et institutionnel, car d’une part ils présentent un grand potentiel d’évolution des modes de vie, mais d’autre part aussi d’énormes risques de l’injustice sociale, de l’exclusion ou de marginalisation des couches les moins aisées de la population, de la discrimination fondée sur le sexe et la race, ou de l’exploitation dans le travail précaire (voir ce que l’on appelle « l’ubérisation »). La diffusion de l’IA affecte donc inévitablement la dimension politique et dans ses applications il faut éviter des dérives dangereuses, comme la possibilité d’établir un contrôle social ou d’appliquer des dynamiques aberrantes de notation attribuées aux citoyens en fonction de leur comportement, comme c’est déjà le cas en Chine ou dans les pays dictatoriaux.
L’un des grands défis liés à l’évolution de l’intelligence artificielle consiste précisément dans la construction de systèmes éthiques solides et de références législatives claires, avec des réglementations inspirées du principe universel d’égalité et de respect des droits de l’homme. Une égalité qui, dans ce secteur, part déjà de la garantie d’accès aux technologies et de leur utilité pour tous, sans distinction d’origine géographique, d’âge, de classe sociale ou de conditions économiques. Une réflexion s’impose pour renouveler les systèmes de droit afin qu’ils restent profondément humanocentrés, accompagnant la révolution technologique. Et cette année nous en avons longuement débattu au WAICF, dans les tables rondes et conférences dédiées à l’Éthique de l’IA. La transition en cours doit nécessairement s’inspirer à la logique des droits de l’homme en adoptant la centralité de la personne et l’objectif d’aider chaque individu à se réaliser dans le respect des droits d’autrui et dans la liberté, dans le chemin tracé déjà le siècle dernier par la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Mais le besoin de renouvellement vient aussi de la comparaison avec la culture, la créativité et les langages de l’art, dimensions capables de porter un divers regard sur le monde et de chercher de nouvelles réponses. Ainsi, les compétences de l’IA Générative, qui s’affirment désormais, ne doivent pas devenir un substitut à l’activité humaine, mais plutôt un complément utile, un puissant outil d’amplification des capacités d’investigation.
Car, comme le rappelle bien Luc Julia, autre représentant prestigieux de la recherche en Machine learning, qui s’exprimait au Waicf, « C’est l’homme qui pilote l’IA, et non l’inverse. La créativité est le propre de l’être humain, elle n’appartient pas à la technologie « . Il ne fait aucun doute que même en utilisant ces nouveaux outils d’IA conversationnelle, vous obtiendrez les bonnes réponses si vous savez poser les bonnes questions.
Notre objectif est de diffuser un message d’ouverture pour une véritable Renaissance numérique à tous ceux qui sont prêts à collaborer sincèrement à la recherche scientifique et technologique, avec la vision d’un horizon commun qui régule la vie et l’action, reconnaissant les valeurs du sens d’altérité et de responsabilité mutuelle. Cela signifie tisser la toile d’un effort commun fait par de nombreuses personnes, comme l’a été la création d’Internet et du Web dans le passé, ce qui nécessite aujourd’hui une entreprise encore plus exigeante et la nécessité d’un dialogue ouvert, ainsi qu’une forte motivation, pour développer la prochaine ère de l’intelligence artificielle orientée vers le bien de l’humanité.