L’IA et notre santé !

Pascal Staccini

Pascal Staccini

Expert IA & Santé

L’IA et notre santé !

En juillet 2018, l’Inserm publiait un dossier intitulé « intelligence artificielle et santé : des algorithmes au service de la médecine »[1]. La volonté de faire produire des tâches humaines par des machines mimant l’activité du cerveau date des années 1950. Depuis, l’évolution de l’intelligence artificielle (IA) a connu deux périodes « hivernales » de près de 20 ans chacune (figure 1)[2].

Figure 1 – 70 ans d’histoire de l’évolution de l’intelligence artificielle

A ce jour deux courants prévalent : celui de l’IA « forte » qui vise à concevoir une machine capable de raisonner comme l’humain et celui d’une IA « faible » qui vise à concevoir des machines capables d’aider les humains dans leurs tâches.

Le domaine de la santé humaine s’inscrit plutôt dans le second courant. Il ne s’agit pas de remplacer le professionnel de santé mais « augmenter » les performances de son raisonnement : aide à l’identification d’un problème, aide à la décision, aide à la réalisation d’un geste et aide au suivi.

Avec le courant de la médecine / santé des 4P (prévention, prédiction, personnalisation-précision, participation), la médecine / santé connait, comme les autre domaines d’activité, de nombreuses applications de ces méthodes et techniques (figure 2) qui mobilisent les disciplines médicales en lien avec, entre autres, celles des mathématiques, de l’informatique, des sciences cognitives.

Figure 2 – Ensemble des méthodes et des techniques d’intelligence artificielle

En matière d’aide à la décision, le dispositif peut s’inscrire en théorie dans l’un des 3 modes de fonctionnement suivant : le mode passif qui répond aux questions de l’usager (système consultant ou système critique), le mode semi-actif qui déclenche des alarmes en fonction de règles établies (système de surveillance), le mode actif qui caractérise un dispositif complètement autonome (déclenchement, réponse et rétrocontrôle). Dans tous les cas, il s’agira de modéliser des connaissances. On distingue pour cela : l’approche symbolique de la description du domaine et du raisonnement et l’approche numérique qui recherche des « motifs ou patterns » pour extraire des connaissances sans modèle préétabli. On applique alors sur des bases de données massives (big data) des algorithmes de classification supervisés ou bien d’apprentissage profond (deep learning).

Une grande partie de la recherche « IA et médecine » concerne l’évaluation de la performance des algorithmes pour résoudre une question clinique utile ou tout du moins identifier des motifs « invisibles » au sein de combinaisons de variables résistantes aux capacités du seul raisonnement humain. Cette recherche concerne également la robotique (robot compagnon ou robot assistant) et les aspects éthiques, sociaux, juridiques, économiques sous-jacents à ce « new deal » du XXIème siècle baptisé « smart deal ».

[1] https://www.inserm.fr/dossier/intelligence-artificielle-et-sante/

[2] Cherifa-Luron M. Prédiction des épisodes d’hypotension à partir de données longitudinales à haute fréquence recueillies auprès de patients en soins intensifs. Thèse de Sciences. Paris, 2 novembre 2021.

Une grande partie de la recherche « IA et médecine » concerne l’évaluation de la performance des algorithmes pour résoudre une question clinique utile ou tout du moins identifier des motifs « invisibles » au sein de combinaisons de variables résistantes aux capacités du seul raisonnement humain.

L’article de Davenport publié en 2019, intitulé « The potential for artificial intelligence in healthcare » détaille les grandes catégories des applications[1]. En matière de diagnostic, l’analyse des images radiologiques (radiomique), des images dermatologiques, des images rétiniennes, apporte en routine une aide à l’identification de tumeurs (cancer du sein, mélanome), ou au dépistage de pathologies rétiniennes (dans un contexte de téléconsultation ou de téléexpertise par exemple). En matière de thérapeutique, au-delà des premières démarches en pharmacogénétique concernant l’identification de profils génétiques prédictifs d’une réponse à un traitement (profil génétique de l’individu ou profil génétique de la tumeur), la recherche en médecine personnalisée ou de précision s’est intensifiée. Elle couvre désormais la santé et l’analyse de la performance des sportifs (coaching personnalisé, prédiction des blessures). La démocratisation des capteurs physiologiques portés (montre connectée, tee-shirt connecté) tout comme celle de dispositifs implantables connectés et intelligents (stimulateurs cardiaques, prothèses articulaires, pompes à insuline) offre désormais un large champ d’usages (suivi de patients traités pour arythmie cardiaque) et de recherche (cybersécurité et anti-piratage).

Prestataires de soins et payeurs (assurance maladie, mutuelles) voient dans l’intelligence artificielle appliquée à l’étude des populations la prédiction d’hospitalisation ou l’identification de situations à risque. Cela suppose une connaissance de l’environnement, du mode de vie et des comportements des individus. On parle d’exposome (tout ce qui n’est pas génétique). De nombreux efforts sont engagés, en particulier dans le cadre d’un mouvement international de « santé participative » ou de « recherche participative » qui visent à mettre en place un dispositif de recueil volontaire de données directement par les citoyens. Au-delà des aspects techniques, cette démarche nécessite des adaptations culturelles et juridiques pour être déployée dans chaque pays.

Inciter le patient à être plus responsable (empowerment) est un objectif indirect de l’usage de l’IA en médecine / santé. La dys/non-observance du patient aux ajustements de son comportement (activité physique, surveillance de paramètres physiologiques), aux traitements prescrits, au suivi régulier en consultation, a non seulement des conséquences sur l’individu mais également sur la durabilité économique de notre système de santé solidaire. Les apports de l’intelligence artificielle en lien avec les données d’auto-mesure (quantify-self), celles du dossier médical personnel et les données environnementales (au sens exposome) commencent à être explorés dans une finalité individuelle (prédiction, suivi, entretien de la motivation, envoi de messages adaptés) et populationnelle (analyse des vulnérabilités d’un territoire, identification de politiques nécessaires, mesure d’impact des politiques mises en œuvre).

Les vingt premières années du XXIème siècle, ont été tout à la fois celles de la fin de la période glaciaire de l’IA et celles de la renaissance. La technologie permet désormais de traiter de très grands volumes de données plus rapidement. Cette « profusion » de données fait naître de très nombreuses perspectives et les GAFA n’ont pas attendu pour nous faire profiter des conseils commerciaux avisés. Si l’analyse des fadettes n’a plus de mystère dans le domaine du e-commerce, rien n’est encore acquis dans le domaine de la e-santé. Avec le RGPD[2], l’évolution des règles juridiques a été dans le sens d’une meilleure information de l’usager. Ce sont désormais l’explicabilité du résultat (reproductibilité et applicabilité) et l’éthique des algorithmes (choix des variables et des critères de classification) qui font désormais le cœur du débat.

En médecine / santé, on comprend que ce débat soit nourri. L’épidémie de la covid a montré combien la donnée de santé était fragile (fake news) et combien nous devions consacrer nos efforts à la qualification et à la sécurisation de la donnée produite. Les récents événements de cyberattaque contre des hôpitaux ou des laboratoires de biologie médicale n’ont eu pour but que de mettre sur le marché les données de santé de centaines de milliers de patients. Noms, prénoms, adresses et numéros de sécurité sociale ont permis aux escrocs de retrouver les coordonnées bancaires des patients qui reçoivent depuis chaque jour des dizaines de tentatives d’escroqueries par mail et par téléphone. Ces événements « font réfléchir » sur notre motivation à aller vers le « tout numérique ». Mais ne posions-nous pas une question comparable lors de la généralisation des automobiles face aux accidents de la route ? Un siècle après la création des auto-écoles (1917) et du permis de conduire (1922), nous continuons de conduire. Il devra en être de même pour l’intelligence artificielle en santé, notre implication dans la mise en œuvre et la compréhension de ces dispositifs est à coup sûr la clé de son usage « raisonné ».

[1]Davenport T, Kalakota R. The potential for artificial intelligence in healthcare. Future Healthc J. 2019 Jun;6(2):94-98.

[2] https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees

Leave A Comment