L’éthique comme garde-fou de la gestion numérique d’une crise épidemique

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L’éthique comme garde-fou de la gestion numérique d’une crise épidemique

Rédigé par Jérôme BÉRANGER, notre expert IA & ÉTHIQUE et CEO de GOODALGO

Le monde digital se caractérise par son instantanéité, sa densité d’informations, son omniprésence, en contraste avec le monde concret des choses. Désormais, avec la multiplication des moyens de connexion, la baisse des coûts des technologies, les nouvelles capacités de collecte et de traitement de la donnée, on s’aperçoit que nous pouvons faire communiquer des éléments de notre environnement jusqu’à présent muets. On assiste au développement multiforme des Nouvelles Technologies de l’Information et la Communication (NTIC) illustré par l’émergence des technologies associées aux Big Data, aux objets connectés, aux algorithmes, aux Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives (NBIC), à la Blockchain, à l’Intelligence Artificielle (IA), et à la réalité virtuelle et augmentée. Artificial intelligence (AI) is developing at an extremely rapid pace.L’IA se développe à un rythme extrêmement rapide. We should expect to see Nous devrions nous attendre à voir significant changes in our society as AI systems become embedded in many aspects of our lives.des changements significatifs dans notre société à mesure que les systèmes d’IA s’intègrent à de nombreux aspects de nos vies et notamment pour le secteur de la médecine pour la relation médecin-patient. Ce nouveau monde des Big Data étudie en permanence le monde réel dans l’objectif de créer de la prévisibilité et de la prédictibilité. Nous sommes confrontés à un avenir où tout va être prévisible par autrui, via les algorithmes de traitement et d’analyse et la manière dont nous interagissons par Internet.

Ce constat s’applique totalement dans la gestion d’une crise épidémique. En effet, cette médecine connectée apporte une meilleure compréhension tant sur des maladies infectieuses que des maladies chroniques à l’échelle d’une population, des approches innovantes pour le diagnostic et le traitement des patients, l’amélioration de la recherche sur les pathologies et leurs thérapeutiques, ainsi que l’optimisation de la surveillance des maladies et des facteurs de risque. Si nous prenons l’exemple de la pandémie du Covid-19 qui s’est répandue sur la majeur partie de la planète en 2020, sa gestion a fait l’objet de multiples moyens numériques[1] que ce soit pour anticiper l’épidémie, la combattre, ou préparer le déconfinement et éviter le départ d’une deuxième vague épidémique de coronavirus.

 

Dès lors, dans le contexte de la généralisation de l’innovation numérique ouverte et de la transformation de la condition humaine, nous sommes en droit de nous interroger d’un point de vue anthropologique et morale sur la place de l’homme dans cette gestion de crise hyperconnectée et digitale où apparait de nouvelle relation au travail, à la coordination et à la transformation des modes d’organisation de la lutte contre l’épidémie. Vers quel management et stratégie nous dirige ces NTIC ? Quelle place auront les professionnels et usagers de santé, ainsi que les pouvoirs publics dans cette période d’urgence sanitaire où interférera de plus en plus objets connectés, robots, drones, machines et autres systèmes experts autonomes ? La technologie va-t-elle laisser une place à l’homme, l’aider, le rendre dépendant (Cf. Esclavage technologique) ou le faire disparaître ? Menace-t-elle au contraire de disparition le discernement, l’intuition et l’émotion humaine ? Jusqu’à quelle mesure le médecin peut-il déléguer son libre arbitre ? Le citoyen peut-il accepter d’être manipulé pour transformer ses sentiments, convictions ou comportements, et d’être catégorisé ou évalué, sans en être informé ? Comment évaluer les actions médicales à partir de l’IA ?⋅ Comment empêcher les algorithmes d’apprentissage d’acquérir des biais moralement répréhensibles (Cf. Faux positifs / faux négatifs, discrimination et de sélection, etc.) ?

Difficilement saisissables et contrôlables, les algorithmes optimisent et orientent nos choix, et nos décisions. Mais qui connait le contenu et le fonctionnement de ces derniers ? Comment ces nouveaux pouvoirs algorithmiques transforment la prise en charge de l’épidémie ? Comment un traitement numérique choisit-il ses actions et en quoi ce choix est-il comparable, ou non, à celui des professionnels et experts en charge de combattre une pandémie comme celle du Covid-19 ?

[1] Par exemples, des plateformes digitales de gestion des appels, des téléconsultations médicales, des objets connectés de dépistage et de suivi, des applications d’IA de modélisation des cas infectés ou non, des drones de surveillance de la population, etc.

Ainsi, nous sommes en droit de nous demander si cette numérisation relative à un épisode épidémique ne pose pas des problèmes éthiques propres. L’enjeu autour de la vie privée de la personne est central. En effet, les croisements de bases de données d’origines diverses, n’assurant probablement pas le même niveau de sécurité, peut ainsi conduire à s’interroger sur le niveau de risque créé pour la personne source. En d’autres termes, le croisement des bases de données et l’augmentation de la quantité des informations entraînent-ils une augmentation du risque de porter atteinte à la vie privée et de conduire à un usage illicite des données ? La vie privée et la confidentialité ont-elles la même valeur sur Internet que dans la vie quotidienne ? Est-ce la fin du secret médical comme nous l’avons connu ? Cette question est d’autant plus importante que l’immense majorité des modèles économiques autour du numérique s’appuie, de près ou de loin, sur une certaine forme de monétisation des données.

Face à cette numérisation de la santé et au changement de paradigme que cela entraine, il est naturel de se demander comment notre système de santé peut-il être amené à évoluer ? Même s’il est évidemment très compliqué d’établir des projections sur un avenir qui est par définition incertain, (et qui l’est d’autant plus que nous sommes confrontés à une période inédite de l’histoire de l’humanité), l’éthique peut (et doit) nous apporter quelques pistes de réflexion qui nous permettront d’avoir une vision des grandes orientations qui s’offrent à nous sur le chemin de notre évolution sanitaire.

 

Ainsi, si on prend le cas d’une application Smartphone – comme Stop Covid – pour combattre la propagation du Covid-19 en traçant les citoyens contaminés par le virus. Cette méthode de traçage digital[1] aurait pour objectif de rendre la recherche et la notification des contacts instantanées dès la confirmation du cas par le propriétaire du téléphone portable. En conservant un enregistrement temporaire des événements de proximité entre individus, le dispositif pourrait immédiatement alerter sur les interactions et contacts étroits récents avec des cas diagnostiqués et inciter les personnes alertées à s’isoler à se faire tester. L’enjeu est donc de suivre en temps réel l’évolution de la pandémie en retraçant le parcours des personnes infectées afin de repérer les populations susceptibles d’avoir été exposées au virus et de proposer des actions de santé publique adéquates en vue d’un déconfinement progressif[2].

Dès lors, ce traçage numérique fait débat et inquiète en France du fait qu’un tel processus ne s’intègre pas vraiment dans notre culture démocratique occidentale et porterait fortement atteinte aux libertés fondamentales. Dans les conditions actuelles de crise d’urgence sanitaire ces libertés peuvent être légitimement réduites au nom de l’intérêt général et à la seule condition que les mesures soient proportionnelles et démocratiquement édictées. Le respect des règles juridiques et de la Loi Informatique et Libertés sont quotidiennement réaffirmés par nos instances. Il n’en reste pas moins que de nombreux enjeux éthiques restent associés à cette pratique. Ces risques éthiques concernent en premier lieu la totale garantie du respect de la vie privée et de la confidentialité des informations relatives au citoyen (Cf. Aspect intrusif), puis la protection et la sécurité relatives à ses données personnelles. Un prérequis essentiel serait alors que les données récoltées soient agrégées et surtout totalement anonymisées. De plus, cette pratique pose la question des libertés individuelles, du libre arbitre et de l’autonomie de la personne avec des modifications de comportements contraints, ressentis ou subis. Il nous parait inconcevable que cette stratégie numérique d’identification des personnes infectées ne fonctionne sans une base de volontariat (non imposé) et d’un consentement libre et éclairé de ces derniers[3]. Enfin, ce traçage numérique pourrait avoir des répercussions de nature discriminatoire du fait que certaines personnes ne voudront pas – par conviction ou principe – télécharger l’application, et d’autres ne le pourront pas[4] (Cf. Fracture numérique). De facto, cette démarche pourrait exclure les populations déjà à risque (personnes âgées et populations précaires).

Dans ces conditions, une possible utilisation réussie et appropriée d’une application de traçage ne pourra se reposer que sur la confiance, l’adoption massive et sans contrainte de l’ensemble de la population. Cela s’applique à l’usage de l’application elle-même et aux données collectées. Des arguments et considérations éthiques reconnaissant l’importance d’obtenir des avantages pour la santé et d’éviter de nuire à la personne doivent être mis en lumière. Ces exigences éthiques devront être particulièrement solides dans le contexte du Covid-19 et comprendre :

  • Un bénéfice immédiat et futur pour la santé des citoyens ;
  • Un devoir de transparence et d’explicabilité auprès de la société sur la finalité de l’application, la nature des données récupérées, leur centralisation, leur durée de conservation, leur éventuelle accessibilité à un tiers, et leur protection dans le cadre d’une géolocalisation ;
  • L’accord et la publication des principes éthiques qui orienteront le dispositif ;
  • La garantie d’équité d’accès et d’égalité de traitement pour tous (Cf. Justice sociale) ;
  • L’utilisation d’un algorithme transparent, explicable et auditable ;
  • La « garantie humaine »[5] visant à permettre un certain degré négocié et opposable de supervision humaine du traitement algorithmique ;
  • Une évaluation éthique indépendante du dispositif de traçage numérique ;
  • L’intégration des données recueillies à un programme d’évaluation et de recherche afin de préparer la gestion des futures pandémies.

En définitive, cette stratégie qui pourrait conditionner un assouplissement d’un confinement à venir doit donc s’accompagner d’une vigilance éthique et de transparence sociale approfondie et renforcée afin de tendre vers un équilibre entre l’intérêt public et les libertés individuelles qui évitera la nécessité d’une surveillance coercitive. Cet impératif sanitaire marque une bascule de notre mode de vie et dans la manière de concevoir le monde, où notre individualisme des Lumières doit s’effacer pour une culture plus holistique qui privilégie l’ensemble à l’individu.

L’intention n’est pas d’imposer cette technologie comme un changement permanent à notre société, mais en raison de ces circonstances pandémiques, il semble nécessaire et justifié de protéger la santé publique quitte à ce que le terme « liberté » de notre devise française soit temporairement – le temps de la crise sanitaire – substituée à celui de « responsabilité » pour chacun d’entre nous. C’est à notre sens, une des conditions sine qua non pour une sortie d’un confinement possible et réussie avec une reprise de vie en société normale. Le chemin est encore long et à ce jour sans aucune garantie.

 

En conséquence, il nous parait essentiel et fécond d’aborder sous un éclairage éthique ces interrogations autour du management numérique opérationnel de l’épidémie afin de nourrir une réflexion riche, ouverte, constructive et évolutive. En effet, assurer des résultats socialement et médicalement préférables des NTIC dépend de la résolution du conflit entre l’incorporation des avantages et atténuer les inconvénients potentiels de ces derniers ; En bref, en évitant simultanément l’utilisation abusive et la sous-utilisation de ces technologies, et en surveillant que ces dernières répondent bien à la fois aux exigences des professionnels de santé, et aux attentes des patients. Le respect de la loi est simplement nécessaire (les contrats qui requis), mais significativement insuffisant (pas le maximum que l’on puisse faire). Par analogie, c’est la différence entre jouer selon les règles et bien jouer, de sorte qu’on peut gagner le match.

[1] L’application de TraceTogether via Bluetooth utilisé par le gouvernement singapourien semble la piste la plus envisagée actuellement en France.

[2] Apports d’informations et d’instructions sanitaires, commandes de matériels médicaux, demandes de la nourriture ou les livraisons de médicaments pendant l’auto-isolement.

[3] Selon un sondage réalisé les 26 et 27 mars sur 1 000 français possédant un téléphone mobile, 4 sur 5 seraient disposés à installer ce dispositif.

[4] Il est entendu qu’il faut posséder un Smartphone compatible pour utiliser une application mobile. Selon le baromètre du numérique 2019 du Credoc, 95 % de la population française disposent d’un téléphone portable, mais seulement 77 % disposent un Smartphone. Ce taux d’équipement fluctue aussi en fonction de l’âge ou du niveau d’études.

[5] Définie par le Conseil Consultatif National d’Ethique (CCNE) comme étant « la garantie d’une supervision humaine de toute utilisation du numérique en santé, et l’obligation d’instaurer pour toute personne le souhaitant et à tout moment, la possibilité d’un contact humain en mesure de lui transmettre l’ensemble des informations la concernant dans le cadre de son parcours de soins ». Cette garantie humaine nécessite de « préserver la maîtrise finale du professionnel de santé, en interaction avec le patient, pour prendre les décisions appropriées en fonction de chaque situation spécifique ».

Par ailleurs, l’acte éthique est d’abord une réponse (du latin respondere : répondre de, répondre à, d’où responsabilité) à une situation limite et complexe. L’éthique assume trois fonctions principales, à savoir : la détermination de ce qu’est la morale, la connaissance des raisons justifiant l’effort d’une personne pour vivre moralement, et l’application à la vie pratique des résultats obtenus dans les deux premières fonctions. La réflexion éthique est avant tout une aventure, une boussole, la recherche d’une interprétation et d’une posture adéquates par rapport à la réalité à laquelle on appartient. Nous nous confrontons à la réalité via le prisme de nos ressentis, émotions, de nos objectifs, de nos modèles de pensée, et nos représentations, qui nous interpellent et nous mobilisent. L’interprétation et l’analyse comportent à la fois une part d’intellect et d’affect. C’est l’ensemble de ces deux composantes qui donne une valeur à la réalité et s’articule avec des idées ou des processus d’idées dans lesquels il trouve un sens cohérent. C’est ce dispositif complexe de valorisation et de dévalorisation, entre rationnel et sensible, qu’il nous importe d’appréhender et de nous approprier. Cela passe nécessairement par un système de médiation jouant un rôle dans les processus de signification afin de conditionner et orienter la production du sens. Dans ces conditions, l’éthique peut être définie comme un mode de régulation des comportements qui provient de l’individu et qui met l’accent sur des valeurs coconstruites et partagées pour donner un sens à ses décisions et à ses actions, faisant ainsi appel à son jugement personnel et à sa responsabilité. Enfin, elle peut être définie comme une réflexion sur l’action pour laquelle il faut chercher le sens. Le « comment » d’un acte se transforme en « pourquoi ». Elle devient la recherche d’une justification des normes que nous établissons. Ces normes ne sont pas une condition sine qua non de la solution éthique des dilemmes pratiques, mais plutôt le résultat du processus de prise de décision lui-même.

Ainsi, l’adoption d’une approche éthique d’une gestion de crise sanitaire confère à ce que nous définissons ici un « double avantage ». D’un côté, l’éthique permet aux organisations de santé et aux autorités compétentes de tirer parti de la valeur sociale que le numérique permet. C’est l’avantage de pouvoir identifier et exploiter de nouvelles opportunités qui sont socialement acceptable ou préférable. De l’autre côté, l’éthique permet aux structures de soins et pouvoirs publics d’anticiper et de éviter ou du moins minimiser les erreurs coûteuses. C’est l’avantage de la prévention et de l’atténuation des actions qui se révèlent socialement inacceptables et par conséquent rejetées, même lorsqu’elles sont légalement incontestable. Cela réduit également les coûts d’opportunité des choix non faits ou des options non saisies par peur des erreurs.

Enfin, le double avantage de l’éthique ne peut fonctionner que dans un environnement de confiance du public et d’un éclaircissement plus large des responsabilités. L’acceptation et l’adoption par les acteurs de notre système de santé des applications digitales ne seront possible que si les avantages sont considérés comme significatifs et les risques comme potentiels, mais évitables, minimisables ou au moins quelque chose contre lequel on puisse être protégé, par le biais de la gestion des risques ou de redresser. Ces attitudes dépendront à leur tour de la participation de toutes les personnes concernées (professionnels de santé, patients, tutelles, industriels, établissements de santé, éditeurs, etc.) au développement des applications numériques technologies, par une ouverture sur leur mode de fonctionnement, compréhensible, largement accessible aux mécanismes de régulation et de réparation. De cette manière, une approche systémique éthique pour accompagner le combat contre une épidémie peut aussi être considérée comme un système d’alerte rapide contre les risques pouvant mettre en danger des structures de soins. La valeur claire à toute organisation du double avantage d’une approche éthique des NTIC justifie amplement la dépense d’engagement, d’ouverture et de contestabilité qu’une telle approche requiert.

Dès lors, une partie des questions éthiques associées à la numérisation de la gestion de crise sanitaire sont menées avec référence à la politique, la stratégie et à la méthodologie employées par les autorités publiques. Les acteurs devraient avoir l’obligation d’adopter des mécanismes de politique et de gestion de code appropriés, afin d’éviter des questions éthiques qui peuvent apparaitre. Avant tout développement et décision stratégique, il est courant qu’une organisation ou structure établisse un tableau SWOT[1] afin d’obtenir une étude de la pertinence, des enjeux, et de la cohérence d’une action future. A partir de ce constat, nous avons réalisé un SWOT autour des enjeux des applications numériques dans le contexte d’une épidémie. Notre matrice SWOT se compose de 10 items illustrant respectivement les forces, les faiblesses, les opportunités, et les menaces (Voir tableau 1).

[1] L’analyse SWOT est un outil de stratégie d’entreprise dont la mission est de déterminer les options stratégiques envisageables au niveau d’un domaine d’activité stratégique. Le terme « SWOT » est un acronyme issu de l’anglais : Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités), Threats (menaces).

Tableau 1. Tableau SWOT des enjeux des applications numériques dans le contexte d’une épidémie

Forces

Faiblesses

Développement d’outils analytiques efficients au service de la santé et de la gestion de l’épidémie

Lente conduite du changement organisationnel des professionnels et des citoyens

Emergence de nouveaux services pour la prise en charge des soins

Pénurie de compétences pour gérer les NTIC

Renforcement de la compétitivité et interactivité entre les acteurs de la santé

Equilibre instable entre intérêt collectif / général, et protection des personnes / libertés individuelles

Analyse prédictive via les algorithmes de traitement

Fiabilité et intégrité des données exploitées

Elaboration d’environnements analytiques

Maîtrise et traçabilité des données massives

Création d’une version unique et réutilisable de la réalité

Obtention du consentement libre et éclairé des citoyens

Compréhension et anticipation de comportements et de parcours des citoyens (cas positifs vs cas négatif au virus)

Conservation limitée des données personnelles

Personnalisation de la médecine (segmentation et ciblage plus fins)

Contrôle de l’accès des données numériques

Médecine à la fois participative, préventive et prédictive (Médecine 4.0[1])

Sensibilisation et formation à une « culture de la donnée » auprès des acteurs (autorités et institutions publiques)

Automatisation des processus de prise en charge de la santé et de l’encadrement de l’épidémie

Changement du paradigme médical pour les professionnels de santé

Opportunités

Menaces

Généralisation du Cloud Computing, d’applications digitales en santé, et de la télésanté

Encadrement réglementaire flou et régulation limitée

Appels à des projets publics de recherche (e-santé, m-Health, etc.)

Usages internes et externes non éthiques des données numériques personnelles de santé

Réduction des dépenses de santé et mutualisation des moyens et services de santé

Non-respect des droits du citoyen (droit à l’information, à l’oubli, d’opposition, d’accès et de rectification, etc.)

Optimisation des parcours ville-hôpital de l’usager de santé

Déresponsabilisation des professionnels de la santé et des citoyens

Création de cohorte virtuelle de patients notamment en Recherche clinique

Catégorisation et individualisation de la société (Cf. Biais de discrimination)

Détection rapide des signaux faibles lors d’épidémie ou d’effets indésirables graves

Sécurité et protection de l’information médicale

Développement de l’autosurveillance médicale (outil de gestion et de suivi)

Création d’hypercondriaques via le Quantified Self (m-Health)

Réalisation de solutions d’aide au diagnostic médical (système expert et IA)

Non-respect de la vie privée et des libertés individuelles (Cf. Confidentialité)

Meilleure compréhension des mécanismes de l’épigénétique

Nouvelle vague d’inégalités et d’injustices médicales (Cf. Fracture numérique)

Amélioration continue des soins

Développement d’une pratique et d’une décision médicales moins humaines

[1] Une médecine qui s’appuie sur les Big Data, les algorithmes et les systèmes experts afin de tendre vers une médecine plus individualisée, personnalisée et prédictive.

Ainsi, la régulation éthique doit devenir une des clés pour l’adoption réussie de ces NTIC lors de la gestion de la crise épidémique. Les systèmes ont besoin d’être encadrés pour être acceptés et pouvoir se développer. Cette régulation autour des traitements algorithmiques intègre une multitude de défis. (Voir le tableau 2)

Tableau 2 : Défis autour de la régulation des traitements algorithmiques

  • Pertinence et cohérence d’un système algorithmique ;
  • Prise en charge et finalités de la collecte et de l’exploration des données numériques ;
  • Encadrement et traçabilité du cycle de vie d’un outil analytique ;
  • Appréhension et adaptation d’environnements analytiques avancés pour les acteurs concernés par l’épidémie ;
  • Vigilance sur la conservation et le recyclage des données numériques ;
  • Responsabilité des acteurs impliqués directement ou indirectement par la NTIC ;
  • Règles de protection et de sécurité des données personnelles sont prises en compte dès la conception (Cf. Privacy by Design) ;
  • Consentement libre et éclairé de la personne concernée par la donnée personnelle ;
  • Structuration des données numériques fusionnées issues de sources distinctes destinées à une analytique plus exhaustive ;
  • Intégration tout le long de la chaine de développement de la donnée numérique de préconisations éthiques dans les pratiques effectuées par des outils d’amélioration continue (Cf. Ethics by Evolution) ;
  • Assurance que des formes de délibération humaine et contradictoire entourent et accompagnent l’usage des algorithmes, via une supervision et audit (Cf. Garantie humaine) ;
  • Instauration d’une transparence, d’une explicabilité et d’une intelligibilité des règles et des hypothèses qui sous-tendent les fonctionnalités, les données qui rentrent et qui sortent, et les objectifs du traitement algorithmique ;
  • Prendre en considération le Design des systèmes algorithmiques (Cf. Interface Homme-Machine) ;
  • Garantie de la fiabilité et la qualité des données numériques traitées et des résultats qui en découlent ;
  • Diversification culturelle et socio-professionnelle au travers de l’implication des personnes dans l’élaboration des systèmes algorithmiques afin d’éviter une certaine forme d’ethnocentrisme ;
  • Réduction de la catégorisation et la discrimination de la société (Cf. Justice sociale) ;
  • Stratégie et politique de valorisation des données ;
  • Respect des attentes des citoyens et des exigences des professionnels de santé.

Enfin, notre société actuelle n’a pas établi véritablement de règles ou de directives universelles afin d’aider à intégrer les normes morales ou de valeurs humaines que l’humanité véhicule dans le numérique et notamment l’IA. Avec la croissance exponentielle du digital, il devient désormais urgent de trouver un consensus autour d’un socle éthique universel afin de pouvoir communiquer et expliquer, dans un souci de transparence, les actions des systèmes intelligents autonomes notamment pour lutter contre une épidémie. L’enjeu est d’acquérir un degré de confiance optimal compte tenu des scenarii dans lesquels l’être humain les utilisent. En raison des complexités conceptuelles relatives aux « valeurs » et « principes » moraux, il est difficile d’envisager et d’appréhender des structures de calcul correspondant directement à valeurs humaines universelles. Cependant, si nous associons des normes et des règles éthiques à ces principes universels, on peut plus facilement imaginer d’intégrer des normes éthiques explicites dans des NTIC. En effet, ces règles éthiques peuvent être identifiés comme étant des instructions pragmatiques d’agir de manière définie dans des contextes définis.

Par ailleurs, l’éthique se situe en amont de la déontologie et du droit dont elle a engendré certains principes fondamentaux. De l’éthique au droit et du droit à l’éthique, on remarque donc un mouvement dialectique permanent dont on peut envisager qu’il fasse progresser la société vers plus d’humanité. Ce qui est intéressant dans le cas de la gestion d’une crise sanitaire telle qu’une pandémie mondiale, c’est que l’importance de l’éthique se positionne également en aval du domaine juridique. En effet, la situation exceptionnelle fait que les pouvoirs et autorités publiques peuvent prendre des mesures qui dépassent le cadre des lois en vigueur. C’est à ce moment-là que l’éthique prend tout son sens et son rôle de gardien de la morale, en étant une pensée en mouvance qui donne un cap et une orientation, tout en évoluant au même rythme que l’évènement en cours.

La mise en place d’un tel système de normes et règles éthiques relatif à la numérisation des pratiques n’est pas simple à mettre en place, mais tellement essentielle pour être un garde-fou des NTIC. C’est pourquoi, nous préconisons une approche systémique et transversale, en deux temps :

  • D’une part, une démarche inclusive des parties prenantes dès l’élaboration et la conception d’un projet digital afin d’apporter des signaux transparents (Cf. Capacité d’inspection et/ou d’explication) sur la nature de leur finalité et leur comportement vis-à-vis des acteurs de notre système de santé : c’est l’ « Ethics by Design» ;
  • D’autre part, l’élargissement de cette démarche durant tout le long du cycle de développement, de mise en place et d’usage de l’application numérique, en faisant évoluer les critères éthiques au fur et à mesure de l’apprentissage et de l’évolution du système algorithmique : c’est l’ « Ethics by Evolution».

En définitive, cette méthode d’inclusion éthique proactive des acteurs concernés par la gestion numérique d’une crise sanitaire aura pour conséquence d’augmenter le sens, la fiabilité, la transparence, la sécurité et donc la confiance de l’ensemble des systèmes algorithmiques impliqué dans une politique santé publique afin que l’esprit d’Hippocrate puisse perdurer mais sous forme plus contemporaine.

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