Le spatial et l’IA : une synergie bienvenue !

Michel Bosco

Michel Bosco

Le spatial et l’IA : une synergie bienvenue !

Les algorithmes et les langages informatiques de l’intelligence artificielle, le calcul symbolique, les modèles cognitifs, et autres composantes de la panoplie des outils de l’« IA » étaient déjà très majoritairement connus il y a 40 ans, 50 ans, ou même plus, mais plusieurs critères n’étaient pas remplis alors, qui empêchaient de mettre ces théories en pratique.

En premier lieu, les puissances de calculs des ordinateurs d’alors étaient bien trop faibles pour faire tourner les algorithmes d’intelligence artificielle : les calculateurs de l’époque ne permettaient d’obtenir des résultats utiles qu’au bout de plusieurs heures, voire plusieurs mois ou semaines, alors que nombre d’applications requièrent, si ce n’est une réponse en temps réel, tout au moins un retour pratique bien plus rapide !  Cette limitation valait tant pour les calculs portant sur d’énormes quantités de données en temps réel, que pour l’utilisation de langages interprétés[1] souvent nécessaires dans le contexte de l’« IA ».

Le secteur du spatial, grand consommateur de calculateurs « à hautes performances », a certainement contribué de façon indirecte aux progrès techniques qui ont permis la croissance exponentielle de la puissance de calcul que l’on connait aujourd’hui : la NASA, par exemple, est à l’avant-garde du développement des ordinateurs à circuits intégrés depuis les années 60, à travers le programme Apollo, et opère, depuis 2008 le supercalculateur Pleiades[2], l’un des plus performants à ce jour.

En second lieu, nombre de mécanismes et algorithmes de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage statistique ont besoin, par nature, de « consommer » des flux de données qui étaient à l’époque insuffisants. Depuis, les réseaux internet ont fait exploser la quantité de données symboliques (à fort contenu sémantique) accessibles, et les images numériques filmées en continu sont capables aujourd’hui de fournir un flux de données (à faible contenu sémantique, des suites de pixels) phénoménal, et ce sont les systèmes spatiaux d’observation de la Terre qui embarquent les plus performantes des caméras.

Les systèmes spatiaux participent donc de ces boucles vertueuses du développement de l’« IA », et ce de manière primordiale. Aujourd’hui, cette synergie continue de s’exprimer de nombreuses manières.

Par exemple, le secteur spatial est le premier concepteur de robots d’avant-garde. Une caractéristique déterminante d’un robot est de pouvoir apprendre des flux de données acquises par ses différents capteurs pour améliorer ses performances, en temps réel et de façon autonome. En raison de la difficulté, voire de l’impossibilité des interventions humaines dans l’espace, on comprendra aisément que ces robots se doivent d’être des plus avancés pour opérer.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Interpr%C3%A8te_(informatique)

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pleiades_(superordinateur)

Le secteur du spatial, grand consommateur de calculateurs « à hautes performances », a certainement contribué de façon indirecte aux progrès techniques qui ont permis la croissance exponentielle de la puissance de calcul que l’on connait aujourd’hui

Même quand l’humain intervient, dans l’espace, l’« IA » est aujourd’hui de la partie. Dans une publication de janvier 2021, « Five ways artificial intelligence can help space exploration[1] », deux doctorants britanniques résument comment l’exploration de l’espace ne peut plus s’en passer :

  • la station spatiale internationale est désormais équipée d’un assistant virtuel pour le traitement des anomalies dans les missions de longue durée ;
  • la conception des systèmes spatiaux, comme la menée des missions spatiales par la NASA, l’Agence spatial européenne, ou le CNES, font appel à des environnements intelligents[2];
  • des modèles d’apprentissage statistiques sont conçus sur la base de données spatiales communiquées au sol, puis transmis au vaisseau spatial déjà en orbite ou en route, afin par exemple de lui permettre d’éviter sans intervention humaine un débris – ou un autre satellite – dont la présence aurait été repérée ;
  • et enfin, bien sûr, dans le cadre du traitement des grands flux de données issus de systèmes spatiaux :
    • les outils de navigation, le « TomTom » utilisé au quotidien, apprend des positions de ses utilisateurs, calculées grâce aux signaux de systèmes comme GPS ou Galileo, pour déterminer la présence de nouvelles routes, de sens uniques, de travaux, etc.
    • les systèmes de prévision de crues, un exemple parmi des centaines, adaptent en permanence les modèles utilisés pour prévenir ou gérer les situations dangereuses en temps réel, en combinant données météorologiques issues de satellites d’observation de la Terre, de capteurs terrestres, et de données symboliques extraites des messageries et réseaux sociaux

Dans les deux cas – deux exemples parmi tant d’autres – les concepteurs de ces systèmes font appel à différents algorithmes d’apprentissage statistiques !

Ces constats sont partagés par les auteurs d’un article encore plus récent, « AI and Machine Learning for Space »[3], dans lequel sont décrits d’autres exemples du même ordre.

Les progrès technologiques réalisés à ce jour et qui résultent de ces synergies entre les 2 domaines du spatial et de l’« IA » ne sont pas le fruit du hasard : plusieurs articles écrits pendant les 4 ou 5 décennies passées témoignent des attentes constantes du secteur spatial envers les solutions fondées sur l’« IA », comme par exemple : « Spacecraft Autonomy and the Missions of Exploration » en 1998, ou en 2006, « The Future of AI in Space » [4]. En contrepartie, les investissements réalisés pour les besoins du secteur spatial ont, pendant cette même période, grandement contribué à financer les efforts de R&D qui permettent aujourd’hui de rendre l’« IA » disponible et opérationnelle dans la grande majorité des domaines économiques et sociaux en ce 21ème siècle.

Ces attentes restent grandes aujourd’hui, comme la part des investissement du secteur spatial dans la R&D de l’« IA » : à titre d’illustration, un tiers des topiques des appels à propositions de l’Union européenne « Horizon Europe – Espace » pour 2021 et 2022, dont le budget cumulé dépasse les 200 million d’euro, fait référence à l’« IA ».

Gageons donc que l’« IA » progressera de façon encore plus soutenue grâce à cette proximité avec le spatial, l’un des secteurs qui bouleverseront notre économie et notre société dans les décennies à venir, si l’on se réfère à la croissance exponentielle de l’utilisation que nous faisons des systèmes spatiaux dans notre quotidien.

[1] https://theconversation.com/five-ways-artificial-intelligence-can-help-space-exploration-153664

[2] Par exemple https://www.rheagroup.com/fr/case-study/mois-orchestrating-space-missions-for-over-20-years/ dont les versions récentes intègrent des algorithmes d’« IA ».

[3] https://ai-solutions.com/newsroom/about-us/news-multimedia/artificial-intelligence-and-the-future-of-space-exploration/

[4] https://scholar.google.be/scholar_url?url=http://222.252.30.203:8888/bitstream/123456789/11703/1/Intelligent%2520systems%2520and%2520their%2520application.Vol.21.Iss.4.A.11.pdf&hl=fr&sa=X&ei=82Q6YYaHC5KAmwGBhITgDw&scisig=AAGBfm2HyyMJ5hcXLaJXqUYlcm9jVzjpuw&oi=scholarr

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